Aujourd'hui le taux de déclenchement en France s'élève à 26% (source : Santepubliquefrance.fr)
Un taux en constante augmentation sans que cela ne change les taux de mortalité ou morbidité.
Plus d'une femme sur quatre.
Les raisons invoquées par les gynécos sont nombreuses :
Dépassement de terme
Suspicion de gros bébé
Suspicion de petit bébé
Pré éclampsie
Rupture voire même juste fissure de la poche des eaux
...
Une raison qui n'est jamais évoquée et qui est pourtant bien réelle, de leur propre aveu, c'est la gestion des plannings.
Comme le confirme Yamina Yamgnane, ancienne Chef de service gynéco à l'hôpital américain de Paris : "on ne peut pas se permettre d'avoir 20 femmes un jour, et 0 le lendemain. Il faut que l'on répartisse 10 femmes par jour"
Alors ils prévoient les accouchements selon les capacités du service, selon les jours fériés aussi (on observe des pics de naissance les veilles de Noël, nouvel An, 14 juillet, 15 août…), selon les vacances du gynéco etc
Aux oubliettes le bien-être du bébé et de la mère, ici c'est l'usine, il faut tenir la cadence, tant pis pour ceux qui auraient besoin de temps, de toute façon il y a toujours la carte du "votre bébé va mourir si on ne fait rien" pour finir de convaincre les plus récalcitrantes.
Dans ce billet j'aimerais revenir sur les protocoles mis en place lors d'un déclenchement, et voir leurs impacts, dangers, bénéfices pour la mère, le bébé, le couple.
Prenons l'exemple de la menace de "macrosomie", ces fameux bébés trop gros, qui ne savent pas naître.
Voici à quoi s'attendre si vous acceptez un déclenchement :
Le rdv est pris 2 à 3 semaines en avance sur la date de terme, pour que votre bébé ne grossisse pas trop, vous comprenez.
Vous avez essayé des techniques dites "naturelles" pour éviter l'artillerie lourde, mais rien n'a fonctionné (feuilles de framboisier, dattes, longues marches, à l'italienne...)
Le bébé bouge bien, vous vous sentez bien, toute votre grossesse s'est déroulée sans heurts
Vous n'avez même peut-être jamais eu de contractions, pas l'once d'un début de travail ressenti
Vous arrivez le jour J avec votre sac de maternité, et un peu la trouille il faut le dire, car cela peut être impressionnant de se savoir aux portes de la naissance (surtout si vous en avez eu peur toute votre grossesse)
Toucher vaginal de routine
Monitoring sur le dos
Insertion du tampon de prostaglandines, qui va venir aider à "maturer" le col, càd l'assouplir, l'ouvrir, et envoyer le message au cerveau qu'il faut lancer la naissance.
Plusieurs heures se passent, et rien ne se passe
Le bébé n’est tout simplement pas prêt
Vous ressentez de l'inconfort, avec ce tampon dans le vagin, immobile dans le lit
Et le stress commence à monter, la course contre la montre est lancée, le gynéco vous a prévenu qu'on ne peut plus faire machine arrière maintenant
Le lendemain, vous passez une étape avec l'injection de syntocinon, hormone de synthèse censée reproduire les effets contractiles de l'ocytocine.
Cette fois le corps réagit
Un peu trop même
Les contractions sont fortes rapidement, longues, rapprochées.
Vous n'avez pas le temps d'apprivoiser ces sensations, qu'il en arrive toujours plus, toujours plus intenses
La douleur devient insoutenable, vous demandez finalement la péri
Admettons qu'elle fonctionne (dans 20% des cas, elle ne fonctionne pas, ou que d'un côté)
Accalmie
Repos, éventuellement sieste
Pendant ce temps, le bébé est toujours poussé vers la sortie, compressé par les contractions induites, mais vous ne sentez plus rien, vous l'oubliez presque
On vous pose une sonde urinaire,
Pas le droit de boire ou manger
En bougeant, le monito se déplace et ne capte plus les battements de cœur, les bipbip de la machine changent de rythme et votre taux de cortisol monte encore, car vous croyez qu'il y a un problème
Vous ne produisez plus d'ocytocine naturelle, vos récepteurs sont saturés de syntocinon, càd que votre cerveau ne produit pas "l'hormone de l'amour et de l'attachement"
Vous êtes sur le dos, immobile, le sacrum bloqué, le bassin fermé
Les sensations pour le bébé sont très intenses, voire violentes. Les contractions sont plus rapprochées que sous ocytocine naturelle, compressant le cordon ombilical trop régulièrement, le bébé est moins bien oxygéné, il n'a pas le temps de remonter en sang
Au monitoring on observe une décélération du rythme cardiaque du bébé
Vous entendez les SF, visiblement inquiètes, parler de "souffrance fœtale"
Il faut sortir ce bébé rapidement
On vous demande de pousser fort, vous ne savez pas comment faire, vous ne sentez rien, en plus votre sacrum est coincé contre le lit, le bébé est bloqué
Ventouses, forceps, épisiotomie
Le père assiste impuissant à cette boucherie. Il en sera traumatisé à vie. Sa femme lui en voudra probablement de ne pas l'avoir sauvée au moment le plus vulnérable de sa vie.
Le bébé naît, ils l'emmènent dans une autre pièce, vitamine k dans le gosier et Erythromycine dans les yeux, alors qu'il a à peine vu sa mère
Clampage du cordon bien trop précoce, le cordon bat encore
Le placenta a donc trop de sang, est lourd, la mère ne voit pas son bébé, elle saigne
Le placenta est arraché de l'utérus car il doit sortir dans les 30 minutes, c'est la procédure
On pèse le sac receveur qu'on avait installé sous ses fesses au moment de la poussée pour récolter le sang et estimer les pertes
La quantité pesée dépasse 500mL, la mère est considérée en hémorragie (le liquide recueilli contient du sang, mais aussi du liquide amniotique et de l'urine pour info)
Le gynéco va procéder à une révision utérine, càd il insère sa main dans le vagin, à travers le col et vient racler le fonds utérin pour récolter les éventuels morceaux de placenta restés accrochés lors de son arrachage.
La liste est encore longue de ce que l'on peut faire subir aux mères, aux bébés, et des conséquences sur leurs capacités à materner, à s'occuper de leur bébé sans toujours chercher l'approbation extérieure.
L'histoire de l'obstétrique est même fondée sur des violences inouïes, ça fera l'objet d'un futur billet.
J'ai pris l'hypothèse, assez classique, de la souffrance fœtale
Il y aurait d'autres issues possibles bien sûr à la fin de cette histoire :
A- les contractions sont "efficaces", vous poussez peu et le bébé sort sans encombre et rapidement
B- pousser n'a pas suffi (sauf à vous donner des hémorroïdes), vous passez en code rouge, césarienne d'urgence, parfois même sous anesthésie générale.
Attachée au lit de chirurgie
Vous sentez que l'équipe s'active derrière le champ, vous sentez même qu'on vous bouge le ventre. Vous entendez un cri, parfois pas, on vous présente rapidement votre bébé tout chiffonné, et ils l'embarquent pour les "soins", vous le rencontrerez 2h plus tard, il sera déjà habillé et on lui aura donné du lait artificiel, altérant son microbiote intestinal le bébé n'aura pas profité du passage dans le vagin de sa mère, ni de son colostrum pour créer sa flore bactérienne, il sera plus sujet aux allergies et problèmes intestinaux.
Ah et bien sûr, en fait des 5kg annoncés, le bébé pèsera 3,6kg... Oups oui madame il y a une marge d’erreur, ça arrive parfois (ndlr : toujours)
Vous l'aurez compris, un déclenchement comporte bien des dangers, pris inutilement.
Laissons nos bébés naître
Laissons les se faufiler dans nos corps pour profiter du design parfait conçu pour eux
Laissons les mères se faire confiance
ps : je n'ai pas listé les bénéfices au déclenchement. Je n'en vois qu'un : se débarrasser de la naissance au plus vite sans attendre que le bébé le décide. Souvent les femmes qui ont très peur de l'accouchement se laissent convaincre que c'est le meilleur chemin pour elles, quitte à finir en césarienne, tant pis. Elles prennent aussi le risque de dépression post-partum, d'allaitement saboté, de lien d'attachement difficile avec leur bébé.
Bien sûr ce n'est pas toujours le cas, on peut s'en sortir pas trop mal en structure, mais globalement on ne met pas toutes les chances de son côté en acceptant ces déclenchements abusifs.
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